L’eau du potager : gaspiller avant d’économiser

Je ne suis pas spé­cia­liste de l’irrigation. Et c’est bien ça mon pro­blème. Ma for­ma­tion de jar­di­nier dé­bu­tant est pas­sée par les livres de jar­di­nage, les­quels ont tous un cha­pitre qui prône l’économie d’eau. Ce qui fait que la pin­gre­rie en eau s’est du­ra­ble­ment im­pri­mée dans mes pra­tiques, et que je n’ai pro­ba­ble­ment ja­mais as­sez ar­rosé mon potager.

Il ne faut pas sous-estimer les dé­gâts que cause le stress hy­drique. Un stress faible rend la plante plus sus­cep­tible aux at­taques. Il n’est donc peut-être pas diag­nos­ti­qué comme tel, et au lieu d’y re­mé­dier par une op­ti­mi­sa­tion de l’irrigation, on va cher­cher un trai­te­ment (bio ou non bio) qui ne fait fi­na­le­ment que com­battre le symp­tôme. Un stress hy­drique im­por­tant en­clenche des mé­ca­nismes sou­vent ir­ré­ver­sibles dans le mé­ta­bo­lisme de la plante (on a es­sen­tiel­le­ment des an­nuelles au po­ta­ger), en par­ti­cu­lier la mon­tée à graines ou la mort pro­gram­mée. Dans tous les cas, on a un ra­len­tis­se­ment mar­qué de la crois­sance, et donc de la pro­duc­tion de bio­masse, dom­ma­geable aux ren­de­ments du jar­di­nier, mais sur­tout dom­ma­geable pour la vie du sol qui entre en dor­mance forcée.

Quand je vois l’état de ma terre en fin d’été, le sol est ul­tra sec en sur­face et la vie du sol a fui vers les pro­fon­deurs in­son­dables. Idéa­le­ment, je de­vrais voir les vers de terre juste sous le paillage — au moins dans mes buttes de lé­gumes. En fait, il fau­drait que j’arrive à gar­der ma terre toute l’année avec le taux d’humidité qui la rend la plus belle : gru­me­leuse, noire, aé­rée, grouillante de bes­tioles comme à la mi-avril.

Pour ça, il faut de l’eau. Et quoi qu’on en dise, l’eau est en­core un bien abon­dant : même dans une Aus­tra­lie frap­pée par une sé­che­resse ré­cur­rente, Da­vid Holm­gren ex­pli­quait que les res­tric­tions qui pe­saient sur l’eau pour les po­ta­gers n’étaient pas for­cé­ment ga­gnantes sur le bi­lan to­tal. Alors à for­tiori en France, et à for­tiori en Avey­ron. Je ne parle pas d’entretenir la ver­doyance d’une pe­louse. Je parle sim­ple­ment de 30 m2 de buttes paillées. Ca m’étonnerait fort que ça fi­nisse par coû­ter plus d’eau que ce que consomme la mai­son (chasse d’eau, bai­gnoire, douche, vaisselle).

Cela dit, il est prévu qu’un jour pro­chain je col­lecte les eaux des toi­tures, que j’abolisse le WC à eau et que je ré­cu­père les eaux grises (en pre­nant garde tou­te­fois de ne pas tom­ber dans le piège d’une ins­tal­la­tion tel­le­ment tech­nique qu’elle coû­te­rait plus cher en eu­ros, en res­sources na­tu­relles
et en pol­lu­tion que toute l’eau qu’elle per­met­trait d’économiser). En don­nant une deuxième chance à l’eau consom­mée dans la mai­son, je pour­rai me lâ­cher dans l’usage de l’eau au jar­din, sans arrières-pensées pé­cu­niaires ou environnementales.

Quitte à vou­loir éco­no­mi­ser l’eau, il vaut mieux faire pous­ser mes propres lé­gumes en ar­ro­sant abon­dam­ment, avec les ré­serves d’eau de mon bassin-versant gé­né­reu­se­ment ar­rosé en hi­ver. En étant trop par­ci­mo­nieux, je me re­trouve à ra­ter mes lé­gumes et ache­ter au su­per­mar­ché des trucs qui ont poussé sous plas­tique en An­da­lou­sie avec l’eau des nappes fos­siles et le tra­vail des es­claves, ache­mi­nés à grand ren­fort de die­sel. Je peux aussi man­ger moins de viande : quand on pense à tout le maïs ir­ri­gué qui pousse dans le Sud-Ouest et des­tiné à la consom­ma­tion ani­male, on n’a pas de mal à ima­gi­ner les ra­ta­touilles de rêve qu’on pour­rait man­ger si on ir­ri­guait des lé­gumes à la place.

Certes, on n’est pas obligé de faire n’importe quoi et d’irriguer son po­ta­ger comme une pe­louse de golf ou un champ de maïs. En met­tant un goutte-à-goutte sous un paillage épais, en ir­ri­guant beau­coup et ra­re­ment plu­tôt que peu et sou­vent, en sur­veillant les be­soins du sol plu­tôt que de dé­ci­der un pro­gramme sys­té­ma­tique, j’imagine que j’évite le gros de la gabegie.

Mais je pense qu’on est allé un peu trop loin dans l’idéal d’économie d’eau au po­ta­ger, et qu’il faut avant tout que les sols soient te­nus dans un état d’humidité op­ti­mal sans grosses va­ria­tions ou dés­équi­libres. La vie du sol d’en por­tera mieux, sans hé­ca­tombes ni ex­plo­sions de po­pu­la­tions. Un sol moins sec et com­pacté éco­no­mi­sera du tra­vail ; des plantes en meilleure santé éco­no­mi­se­ront de la fu­mure et des trai­te­ments ; des lé­gumes plus abon­dants éco­no­mi­se­ront de la surface.

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