Le polyéthylène usagé n’est plus un déchet

Je dé­teste le plas­tique au jar­din. Sur­tout quand il est dans le sol sous forme de fines la­nières noires dé­tri­co­tées d’une bâche de paillage et qui se prennent dans les ou­tils. Et ce n’est rien par rap­port à la ca­tas­trophe éco­lo­gique que causent les plas­tiques quand ils se re­trouvent frag­men­tés dans les éco­sys­tèmes ter­restres ou ma­rins. Je me suis ainsi juré de ne plus ja­mais uti­li­ser de plas­tique au jardin.

Mais comme rien n’est simple, voilà que j’ai acheté il y a trois ans une pe­tite serre tun­nel de 4mx4m, et donc for­cé­ment bâ­chée avec du …po­ly­éthy­lène.

D’un côté j’aurais pré­féré ne pas uti­li­ser de plas­tique. Mais d’un autre côté, je sen­tais bien qu’il vaut mieux une serre chez soi que des lé­gumes du su­per­mar­ché, les­quels non seule­ment l’hiver poussent sous serre chauf­fée mais sont ache­mi­nés de loin. Et la serre qui consomme le moins de res­sources na­tu­relles, c’est en­core le tun­nel plas­tique, bâ­ché avec du po­ly­éthy­lène trans­pa­rent. En ef­fet, le po­ly­éthy­lène est beau­coup moins éner­gi­vore à fa­bri­quer que le verre, et les arches né­ces­sitent beau­coup moins de ma­té­riaux que la struc­ture d’une serre.

Ener­gie grise : verre contre polyethylène

Soyons sympa avec la serre en verre en met­tant l’acier de côté, en sup­po­sant qu’il est éter­nel dans les deux cas.

Reste la ques­tion verre contre plas­tique. Je pars des in­fos très claires pu­bliées dans cette pré­sen­ta­tion de l’université de Cam­bridge :

  • L’énergie grise du po­ly­éthy­lène est aux alen­tours de 80 Mé­ga­joules par kilo, dont 50 Mé­ga­joules cor­res­pon­dant à la ma­tière pre­mière (le pé­trole qui a donné l’éthylène qu’on a po­ly­mé­risé) et 30 Mé­ga­joules cor­res­pondent au pro­cédé de fa­bri­ca­tion (cra­quage pour ob­te­nir l’éthylène, puis po­ly­mé­ri­sa­tion à 200°C)
  • L’énergie grise pour un kilo de verre plat est aux alen­tours de 15 Mé­ga­joules, soit deux fois moins d’énergie pour la fa­bri­ca­tion (fu­sion à 1500°C)

Oui mais pour une serre en verre, on uti­lise des verres de 4mm. Pour une serre plas­tique, des films de 0.2 mm, donc 20 fois moins de vo­lume de ma­tière. Comme en plus le verre pèse 2.5 fois plus lourd à vo­lume égal, ça fait 50 fois plus de ki­los de verre que de po­ly­ethy­lène. Donc 25 fois plus d’énergie de fabrication.

Certes, le po­ly­éthy­lène dure beau­coup moins long­temps que le verre : en­vi­ron 4 ans au so­leil et au froid — et on ne peut pas trop le réuti­li­ser pour autre chose dès lors qu’il com­mence à s’effriter car les frag­ments pour­raient se re­trou­ver dans l’environnement. Mais pour re­ve­nir à éga­lité, il fau­drait que le verre dure cent ans. En cent ans, il y en aura des orages de grêle…

En plus, l’avantage énorme du po­ly­éthy­lène, c’est qu’il ne coûte qua­si­ment pas d’énergie à re­cy­cler pusqu’il suf­fit de le la­ver et le broyer, contrai­re­ment au verre qu’il faut re­fondre à 1000°C (on n’économise que 25% par rap­port à du verre vierge). Un rap­port dé­taillé chiffre le bi­lan car­bone du po­ly­éthy­lène re­cy­clé à seule­ment 1/10e du po­ly­ethy­lène vierge.

Re­cy­clage et incinération

Cela dit, il y a un piège : on re­fait ra­re­ment de beaux films po­ly­éthy­lène avec des plas­tiques re­cy­clés : trop de sa­le­tés et d’impureté. Donc en vrai, l’aventure s’arrête en gé­né­ral après le pre­mier re­cy­clage. En plus, le coût fi­nan­cier du trans­port, du tri et du la­vage n’est pas né­gli­geable. Les agri­cul­teurs ont par­fois de quoi com­pac­ter leurs films po­ly­éthy­lène usa­gés en fai­sant de jo­lies balles qui coûtent moins en trans­port. Mais moi avec mes 30m2 de bâche qui pèsent 6 ki­los, je me de­mande si les tra­jets de ca­mions se justifient.

Outre ce coût dif­fi­cile à chif­frer du trans­port vers les centres de tri et de re­cy­clage (ou d’incinération), sur­tout quand on est en mi­lieu ru­ral, il y a le risque que le po­ly­éthy­lène fi­nisse en dé­charge ou dans la na­ture plu­tôt qu’en to­bog­gans. Et là, ça fait cou­rir un risque en­vi­ron­ne­men­tal, quand on sait que ce genre de plas­tique hyper-stable met des mil­liers d’années à être dé­gradé. Entre-temps, il se frac­tionne, passe la bar­rière in­tes­ti­nale, cé­ré­brale, pla­cen­taire comme au­tant de nano-particules, en per­tur­bant tous les mé­ta­bo­lismes. Et s’il fi­nit en mer, c’est en­core pire. En fait, je me de­mande si à dé­faut d’un cir­cuit ef­fi­cace de col­lecte et de re­cy­clage, une bonne uti­li­sa­tion du po­ly­éthy­lène usagé ne se­rait pas de se chauf­fer avec.

En ef­fet, le po­ly­éthy­lène, c’est la même chose que la pa­raf­fine de nos bou­gies : mêmes longues chaînes –CH2-CH2-CH2-, même odeur quand on le brûle, mêmes pro­duits de com­bus­tion. On peut presque le voir comme de l’essence so­lide : un com­bus­tible fos­sile très pur, sans soufre ni chlore ni plomb. D’ailleurs il dé­gage la même éner­gie à poids égal. En me chauf­fant, je ré­cu­père ainsi 2/3 de l’énergie grise conte­nue dans le po­ly­éthy­lène, j’évite le trans­port et le tri des dé­chets, j’évite qu’il soit mé­langé à du PVC pour fi­nir en in­ci­né­ra­teur in­dus­triel, j’évite sur­tout qu’il fi­nisse en dé­charge ou dans la nature.

 

Et la pollution ?

Brulé dans un feu as­sez chaud, il ne pro­duit que de la va­peur d’eau et du CO2 (la même quan­tité de CO2 que si on avait brûlé le pé­trole qui a servi à le fa­bri­quer). Au pire, vous au­rez du mo­noxyde de car­bone, des par­ti­cules de suie et des com­po­sés aro­ma­tique po­ly­cy­cliques pro­ba­ble­ment un peu can­cé­ri­gènes — comme avec du bois, en fait — mais pas de dioxines et autres or­ga­no­chlo­rés (au contraire des PVC, ce qui veut dire qu’il faut être ab­so­lu­ment cer­tain de la com­po­si­tion d’un plas­tique avant de le brû­ler).

Un feu as­sez chaud, ça veut pro­ba­ble­ment dire au moins un poêle à foyer fermé (dont la vitre ne noir­cit pas, in­dice d’une com­bus­tion com­plète), ou mieux, un poêle de masse, et sur­tout pas des feux de joie comme on en voit en­core trop sou­vent ici et là dans la cam­pagne, qui brûlent noir, âcres et en pure perte. Dans un poêle, on peut ima­gi­ner en uti­li­ser de pe­tites quan­ti­tés en allume-feu parmi le pe­tit bois — ça sera cer­tai­ne­ment moins pol­luant que le jour­nal d’annonces ou le pa­pier d’imprimante blan­chi au chlore — mais le mieux est d’attendre que le feu soit bien chaud. Cela dit, le bois aussi pol­lue beau­coup quand le feu n’est pas as­sez chaud. Je se­rais prêt à pa­rier qu’on pol­lue moins quand on brûle du po­ly­éthy­lène ou du po­ly­pro­py­lène que du bois, sur­tout si le­dit bois n’est pas idéa­le­ment sec.

Main­te­nant que je sais ça, j’ai moins de scru­pules avec ma serre, qui grâce à ses hy­dro­car­bures so­lides en forme de bâche me per­met de man­ger ultra-local en ré­dui­sant ma consom­ma­tion d’hydrocarbures li­quides en forme de die­sel. Et quand il fau­dra se ra­battre sur la chi­mie verte faute de pé­trole, il vau­dra tou­jours mieux faire des agro-plastiques avant de les brû­ler plu­tôt que des agro-carburants.

Cela dit, ce n’est pas de­main la veille que je re­met­trai du plas­tique en paillage (à moins que ça soit pour réuti­li­ser de la bâche de chan­tier que j’ai sur les bras de toute fa­çon, parce qu’avant de re­cy­cler, il faut réuti­li­ser au maximum).

Un peu de lec­ture en plus…

Bur­ning or re­cy­cling, bio­mass ma­ga­zine
Chauf­fage au bois et pol­lu­tion (wikipedia)